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Sandrine Boyet

Directrice Générale

Conseil d'Admin.

Radio France 07/02/2025




La dernière boîte aux lettres Papillons a été inaugurée le jeudi 30 janvier à Paris. Imaginées par Laurent Boyet, lui-même victime d'abus sexuels, ces boites permettent aux enfants de libérer leur parole de toutes les formes de violences dont ils sont victimes grâce à l'écrit. Rencontre.


Une grande maison se détache du ciel bleu de Saint-Estève, en banlieue de Perpignan. Laurent Boyet nous a donné rendez-vous au siège de son association, qu'il surnomme affectueusement "la maison Papillon". Il a fondé son association, Les Papillons, pour aider les enfants victimes de violence à ne pas s'emmurer dans le silence, comme lui l'a fait : "j'ai été victime de viol dans mon enfance, de mes six ans jusqu'à l'âge de neuf ans, par mon frère."


Le fondateur est vêtu d'un pull vert sapin. La même couleur que celles de ses yeux, que des fauteuils dans les bureaux des psychologues, et ceux de la salle réservée aux groupes de paroles. Le quinquagénaire voulait des couleurs chaleureuses et accueillantes, pour ces espaces "Papillons" dédiés à la thérapie. Lui-même n'a jamais été accompagné psychologiquement. "La plupart du temps quand j'allais voir les psychologues pour me faire accompagner, le postulat de départ c'était pardonner et moi j'ai beau ne plus être en colère, il y a bien une chose que je n'arrive pas à faire c'est pardonner. C'est peut-être ça qui me gêne, mais pour l'instant j'envisage pas le pardon." Laurent Boyet le dit aux victimes, mais il teste les différentes méthodes que l'association propose : "je profite d'avoir embauché une thérapeute pour dire "voilà, moi je me suis jamais fait accompagner, alors avant de vous dire c'est bien de faire ça, je vais le tester moi quoi". Et ensuite sur les réseaux, je vais faire des petites capsules en disant "ça je trouve ça bluffant, parce que ça m'a aidé pour ça, ou ça, c'est difficile", parfois il faut être préparé."


Toutes les thérapies proposées par l'association sont gratuites, notamment les différentes formes d'hypnothérapies comme l'EMDR, "les gens imaginent qu'elles sont un peu farfelues", explique Laurent Boyet. Mais il est convaincu de leur efficacité, en particulier sur les troubles somatiques : "forcément, quand on n'est pas victime, on ne peut pas comprendre la perte de confiance, la perte d'estime, la perte de chance. Et tous ces traumas qu'on porte en nous, toutes ces blessures qui ont un impact physique." Très jeune, il développe des calculs rénaux : "pourquoi mon corps fabrique ces cailloux ? Il n'y a pas de raison ! Je fais aussi de l'hypertension." La nuit est plus révélatrice encore. "Je n'arrive pas à dormir avant deux heures du matin parce que mon frère m'a agressé le matin, donc pour moi la nuit, c'est le danger, même maintenant que je sais que je suis plus en danger, il n'empêche que je m'endors à deux heures  et je me réveillerai à six heures six tout le temps parce que c'est à cette heure là que mon frère m'a agressé les premières fois."


Enfant, Laurent Boyer n'a jamais réussi à dire ce que son frère lui faisait subir. Mais il l'écrivait dans un journal intime qu'il gardait précieusement. Fatigué de porter "tous les masques qu'on porte quand on est victime", c'est encore par l'écriture qu'il brise son silence dans une lettre à sa fiancée, Sandrine, peu de temps avant leur mariage. "Je lui ai expliqué qui j'étais vraiment, et le lendemain matin, elle a découvert cette lettre et elle m'a dit ce que toute victime attend finalement, " je te crois et je serai là"." Lorsqu'il libère sa parole, plus de 30 ans après les faits, il se promet que les enfants ne "traverseront pas les mêmes déserts" que lui. "Parce qu'au final, je me suis rendu compte que plus encore que le mal que mon frère m'avait fait, ce qui a failli me détruire, ce sont vraiment ces 30 années de silence, de honte, de culpabilité" soupire le président des Papillons. Aujourd'hui, sa femme travaille à l'étage de la maison, à Saint-Estève. Dans son bureau, qu'il présente fièrement, le téléphone n'arrête pas de sonner : "Elle a commencé à s'occupe de l'association à côté de la police, maintenant elle est à temps plein, parce que c'est beaucoup de travail !"


Il ne sait pas s'il a choisit son métier de policier à cause de ce qu'il a subit, "peut-être inconsciemment" se demande t-il. Un jour, une affaire d'inceste arrive sur son bureau. Une jeune femme de dix-neuf ans, violée par son grand-père. "Elle a le courage de porter plainte, mais moi je suis bouleversé, je suis trop touché par ce qu'il se passe, ça m'a demandé beaucoup mentalement." Le chef de police se promet de ne jamais s'occuper d'affaires de violences sur les enfants, de peur d'être trop impliqué. Quant au traitement des violences sexuelles par son corps de métier, il admet "que c'est mieux chez les gendarmes." Mais Laurent Boyet réalise aussi la chance qu'il a d'être dans une équipe bienveillante, qui a accueilli son témoignage.


Avant de fonder Les Papillons, Laurent Boyet écrit un livre, Tous les frères font comme ça, publié en 2018. Un premier pas vers la libération totale de sa parole. "Puis on me dit de monter une association, alors moi comme je suis bien élevé, donc je monte une association appelée "Les Survivants", c'est tout de suite beaucoup plus dur" se rappelle t-il. Son action vise d'abord les hommes victimes de violences sexuelles : "on est dans une société masculiniste, les hommes font beaucoup de mal, donc forcément quand on cherche des témoignages d'hommes victimes, on tombe plutôt sur des noms d'agresseurs." Mais son association n'avance pas, "c'est une coquille vide."  Puis un soir, sur un plateau de télévision, il témoigne après un extrait de documentaire sur l'histoire de Lili, une petite fille qui porte plainte pour viol contre son grand-père. "Dans ce documentaire, à un moment, Lili elle disait à quel point elle aimait les papillons, leur couleur, leur humeur... Et moi, sur le plateau, ça a été un véritable déclic. Quelles que soient finalement les violences dont on est victime, on est tous et toutes prisonniers de notre silence, un peu comme dans une chrysalide, alors que tout ce qu'on veut, c'est prendre notre envol, libérer nos paroles pour devenir des papillons. À ce moment-là, je me suis aussi rappelé de qui j'avais été. C'est-à-dire un enfant, victime, et je me suis rappelé de mon journal intime. Et je me suis dit, c'est ça, il faut créer quelque chose par l'écrit."


D'où l'idée de permettre aux enfants d'écrire ce qu'ils n'osent pas dire, sur des papiers : "ils inscrivent leur nom, leur âge, le nom de leur agresseur, et il y a un cadre pour écrire la situation dans laquelle ils sont." Les premières boites aux lettres floquées de petits papillons verts, sont déposées dans les écoles et les centres sportifs en 2020. Le dispositif forme aussi une personne de la municipalité pour sensibiliser les enfants lorsque les boîtes sont déposées : "on leur parle du harcèlement au milieu scolaire, du cyberharcèlement, des violences physiques, des violences psychologiques. Pour ce qui est violences sexuelles, par rapport à l'âge, nos psychologues nous ont permis de construire une sensibilisation qui est adaptée à l'âge des enfants, on leur parle surtout du rapport à l'autre, du rapport à l'intimité." Puis la boîte aux lettres Papillon est présentée aux enfants, pour se familiariser avec l'objet "avec des couleurs pastels, accueillantes, pour que les petits se disent que la boite est vraiment là pour eux", précise Laurent Boyet. "On leur dit qu'ils peuvent nous écrire à partir du moment où ils ressentent une émotion négative."

Les flyers donnés aux écoles et aux centres sportifs pour encadrer la sensibilisation, à l'arrivée d'une boîte aux lettres Papillon. © Radio France - Estelle Kammerer

Dès le premier jour, voire le lendemain, les mots affluent, "il peut y avoir dix, vingt, trente mots dès le premier jour !" Le fondateur se souvient d'une ville, qui devait poser sept boîtes Papillons en une semaine : "finalement ils n'en ont mis que trois, il y a eu cent mots la première semaine, ils étaient paniqués !" Les mots sont reçus par la police, scannés et traités par les psychologues des Papillons, tous les jours, "parfois même le week-end". Parmi les dizaines de mots reçus il y a toujours un ou plusieurs qui font l'objet "soit d'une information préoccupante ou qui vont donner un signalement par derrière" explique Laurent Boyet. C'est là que le nom de Lili, symbolique pour l'association, revient. "Je vais prendre l'exemple d'une autre Lili. On avait même pas fait la sensibilisation, ou expliqué le dispositif, on avait juste montré la boite. Lili, elle a pris un mot, elle est allée se réfugier dans les toilettes et elle a écrit en lui disant que cette personne mettait sa partie du bas à lui dans sa partie du bas à elle, mais qu'elle ne voulait pas, mais qu'il l'a forcée. On a reçu le mot le vendredi midi. Le lundi, on a envoyé un signalement au procureur de la République de l'Ain. C'était le grand-père qui abusait d'elle depuis trois ans maintenant." Après le signalement, la police entend Lili et ses parents : "toute l'enquête a permis de montrer, avant l'interpellation du grand-père, qu'il y avait deux autres cousines de la famille qui, elles aussi, étaient victimes. Les trois ne savaient pas qu'elles étaient toutes victimes. Le grand-père a été interpellé. Il a été condamné à douze ans de réclusion criminelle pour viol et agression sexuelle."


Aujourd'hui, les mots continuent à affluer dans les 360 boîtes disposées partout en France, y compris dans les petits villages, et même à Munich en Allemagne. Laurent Boyet les voir se développer dans les clubs sportifs où la parole se libère plus difficilement. Un point important pour le président de l'association, qui rêvait d'une main tendue de son club de foot à l'époque des abus qu'il subissait. Et l'idéal serait, un jour, d'avoir une deuxième "maison Papillon".

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