On nous parle souvent de ce mot : le pardon. Comme si, avec nous qui avons été victime de l'impardonnable, cette notion prenait tout son sens. D'ailleurs, chacun des trois psychologues auprès desquels j'ai cherché des réponses me l'a opposée. Pour aller mieux, je devais...pardonner.
Mais moi, je me sentais, et me sens toujours d'ailleurs, incapable de pardonner. Pardonner... c'est facile à dire. Encore une fois, on rejetait la faute sur moi. Si je n'allais pas bien, c'était à cause de moi, parce que je ne parvenais pas à pardonner.
Moi, si j'ai libéré ma parole, c'est justement parce que j'en avais assez de subir. Je voulais enfin être l'unique maître de ma vie. J'ai avancé. J'ai essayé de rester debout. Petit à petit, et notamment depuis que j'ai publié mon témoignage, la colère est passée.
Les autres ont souvent du mal à comprendre la nuance. Pour eux, si je ne suis plus en colère, c'est parce que j'ai pardonné. Quelque part, ils ont raison. Mais, et ils ne le savent pas, ils se trompent juste de personne. Ce que m'a fait mon frère est tout simplement IM-pardonnable. Si je ne suis plus en colère, c'est parce que je me suis pardonné. A moi.
Les non victimes ont souvent du mal à comprendre pourquoi, de quoi on devrait se pardonner soi-même. Nous, nous savons cet engrenage qui nous amène vers la culpabilité. On s'en veut d'avoir laissé faire. On s'en veut de ne pas avoir su, de ne pas avoir pu dire non. En grandissant, on pose sur nos blessures un regard d'adulte et on oublie ce que c'est, être un enfant, ne pas avoir d'autres choix que d'obéir à la loi du plus fort, à l'emprise, la force des adultes.
On s'en veut d'avoir gardé le silence. Je n'ai jamais imaginé que je me tairais durant autant de temps. Plus de 30 ans ! Au tribunal de ma propre histoire, ce silence a d'abord fait de moi le complice de mon frère. Et à force, à cause de ce silence, dans ce même tribunal, je me suis jugé coupable, peut-être même encore plus que mon frère. J'ai fini par me détester, par ne plus me regarder dans le miroir. Je me suis affligé de tout le mal qu'il m'avait fait, de toutes ces souffrances invisibles dont je souffrais.
Sans qu'on s'en rende compte, c'est contre nous-mêmes qu'on devient en colère, contre ce corps qui nous dégoûte, parce qu'il nous ramène vers nos agresseurs. On s'ouvre les veines parce qu'on croit que leur violence coule en nous.
On se déteste. On s'en veut. Alors, avant de penser à pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, c'est avec nous-mêmes que nous devons faire la paix. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons apaiser nos colères.
Oui j'étais en colère contre moi. Et cette colère l'aveuglait. Je ne valais rien. Je n'étais rien. C'est cette colère contre nous qui nous conduit parfois à avoir des comportements excessifs, extrêmes. On s'en moque de mourir. Alors on brûle la vie en espérant qu'elle nous consume avec elle.
C'est notre enfant intérieur qui pleure quelque part en nous. C'est lui qui crie de rage et de douleur. C'est lui qui nous en veut. Il en veut aux adultes que nous sommes devenus, tant bien que mal. Il se sent abandonné. C'est lui que nous devons apaiser.
C'est difficile de retourner vers lui car cela implique de regarder son passé en face, de revenir en arrière pour se persuader que nous ne pouvions rien faire, que nous sommes responsables de rien.
Vous n'êtes pas responsable. Vous êtes victime. Ne l'oubliez jamais. On s'en moque que vous ne puissiez pas pardonner à votre agresseur. Et bravo si vous avez trouvé la force de le faire. Ce qui compte, c'est vous. Toujours. Ce qui compte
c'est de faire la paix avec vous.
L'essentiel est de SE pardonner. Pouvoir se regarder dans le miroir sans détourner le regard.
Toujours penser à soi d'abord. Faire la paix avec soi.
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